En partant du discours de l’impact de toutes les activités humaines sur l’équilibre de la planète, de la violence sans merci qui règne désormais entre l’homme et le monde, Michel Serres démontre qu’il y a une irruption de la nature comme acteur à part entière et majeure de l’histoire. Il appelle donc à une réconciliation, à un nouveau contrat qu’il nomme « le contrat naturel ».
Le livre de Michel Serres Le Contrat naturel s’ouvre par la description d’un tableau de Goya, deux hommes se battent violemment à coups de gourdin. Scène d’une saisissante âpreté, le sang coule sur le visage de l’un des personnages, les bâtons virevoltent au-dessus des deux protagonistes.

Dans leur acharnement à se détruire, ils oublient le monde, attentifs à se détruire l’un l’autre ils s’enfoncent lentement dans les sables mouvants. Au final, il n’y aura ni vainqueur ni vaincu car tous deux vont connaitre une fin tragique, ils vont être submergés.
« A l’instar du tableau de Goya « Duel à coups de gourdin », nous nous écharpons dans de vains combats tandis qu’à chaque coup de gourdin, l’un et l’autre, nous enfonçons dans les sables mouvants. Ces sables mouvants, c’est notre Monde… »
Les sables mouvants représentent donc notre monde, la Nature que nous ignorons, obnubilés par nos querelles, nos guerres intestines, inconscients du danger qui nous guettent.
Le contrat naturel
L’état de violence « sans limite » entre l’Homme et le Monde appelle l’élaboration d’un nouveau droit, un contrat naturel venant compléter le contrat social établi entre les hommes. En effet, l’histoire du droit en Occident voit bien une reconnaissance de plus en plus large de la la notion de citoyenneté. Réservée dans la démocratie athénienne au seul mâle originaire de la Cité, celle-ci s’étend au fil de l’histoire aux femmes, aux enfants, aux étrangers, etc. Plus tard, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen donna la possibilité à tout homme en général d’accéder au statut de sujet du droit. Portée par le contrat social de Rousseau elle permet d’envisager un certain idéal d’équilibre au sein de la société humaine.

Mais avec le contrat social nous ne pensons le droit qu’à partir d’un sujet de droit. Ce contrat a pour unique cadre le sujet humain, il se ferme sur soi, laissant hors-jeu le monde et la Nature, collection énorme de choses réduites au statut d’objets passifs. Le sujet de la connaissance et de l’action jouit de tous les droits et ses objets d’aucun. Ceux-ci n’ont encore accédé à aucune dignité juridique. Il est donc nécessaire de procéder à une révision du droit.
Parasite et symbiote
Le contrat naturel est le résultat de ce changement, il montre les limites du contrat social afin d’en universaliser la portée. Il défend l’idée que le contrat social, pour atteindre sa pleine universalité, doit être étendu non seulement aux vivants mais également aux objets inertes. La Nature et tout ce qui y est rattaché devient ainsi sujet de droit. Ce contrat ouvre un nouveau type de rapport, celui de symbiose et de réciprocité, où la possession et la maitrise laisse place au respect, à l’écoute et même à la contemplation. Liens de réciprocité qui dessinent le contrat naturel.

« Contrat d’armistice dans la guerre objective, contrat de symbiose : le symbiote admet le droit de l’hôte, alors que le parasite ‐ notre statut actuel – condamne à mort celui qu’il pille et qu’il habite sans prendre conscience qu’à terme il se condamne lui-même à disparaître. Le parasite prend tout et ne donne rien ; l’hôte donne tout et ne prend rien. Le droit de maîtrise et de propriété se réduit au parasitisme. Au contraire, le droit de symbiose se définit par la responsabilité : autant la nature donne à l’homme, autant celui‐ci doit rendre à celle‐là, devenue sujet de droit »
L’ouvrage de Michel Serres témoigne d’une réflexion à très long terme, aussi bien dans le futur (au sens d’une mise en garde et d’un projet d’avenir) que dans le passé (avec une histoire du droit).
Réception de l’ouvrage
A la sortie de l’ouvrage, le livre s’est heurté à une levée de boucliers. Il y a 30 ans, vouloir sauver la planète était considéré comme une idée farfelue. Aujourd’hui le monde entier s’est emparé du sujet. Partout nous entendons qu’il est important d’agir, ce que nous rappelle Michel Serres est qu’il est important avant tout de réfléchir, c’est pourquoi son ouvrage, Le contrat naturel parait plus que jamais actuel.