Entretien avec Guillaume Morel-Chevillet, directeur de l’ouvrage Agriculteurs urbains

 

L’agriculture urbaine connaît, depuis environ une décennie, un essor continu. Bien que son émergence soit récente et s’inscrive dans une perspective de long terme, elle subit une transformation extrêmement rapide, due pour l’essentiel à l’arrivée de nouveaux acteurs. Et c’est bien par le prisme des acteurs que l’ouvrage Agriculteurs urbains dirigé par Guillaume Morel-Chevillet, responsable végétal urbain chez Astredhor, aborde ce mouvement et nous dresse un brillant panorama de cette activité.
Approche originale et qui nous a donné envie de questionner l’ingénieur paysagiste.

 

Quelles sont les raisons qui vous ont amené à vous intéresser aux agriculteurs urbains ?

La première raison est personnelle, elle découle de mon parcours. Je travaille depuis presque onze ans dans le monde du paysage et de la nature en ville. J’ai découvert cette activité aux États-Unis où je travaillais dans le domaine des toitures végétalisées.
J’ai travaillé également dans le monde de l’aménagement végétal urbain en tant qu’architecte du paysage pendant une dizaine d’années. J’ai ensuite été recruté par Astredhor, Institut technique de l’horticulture qui s’intéressait vraiment aux potentialités d’innovations techniques, ainsi qu’aux enjeux de l’agriculture urbaine pour la filière de l’horticulture. C’est donc la complémentarité entre mes connaissances de la ville et de ce qui s’y déroule autour du végétal et l’Institut Astredhor qui s’intéresse fortement  aux nouvelles innovations autour de l’agriculture urbaine qui a donné lieu à ce livre.

Votre livre s’intitule Agriculteurs urbains, quel a été l’intérêt de privilégier les acteurs de ce mouvement ?

Potagers urbains. © Élise Fargetton

Le but de cet ouvrage était de se démarquer, en se focalisant sur les humains et les structures qu’il y avait derrière. Ainsi, pour cet ouvrage, j’ai effectué des entretiens avec des personnes du milieu agriurbain entre 2015 et 2017. Je passais plusieurs jours dans les fermes urbaines à la rencontre de ces acteurs. Nous les avons filmés, questionnés, nous étions suivis par un comité de pilotage – composé entre autre de Christine Aubry d’AgroParisTech, de Pierre Donadieu, etc. – qui se réunissait tous les quatre mois et qui me permettait de m’orienter, et avec lequel je pouvais réfléchir sur ma démarche.

Ces entretiens se sont passés en France ou dans des pays étrangers ?

En tout, il y en a eu une quarantaine en France et une soixantaine hors France. En Europe, avec des agriculteurs hollandais, belges, espagnols, italiens et suisses. À l’extérieur de l’Europe, aux États-Unis, Canada et Japon. Nous avons choisi de nous orienter vers les mouvements des pays occidentaux. Nous ne nous sommes pas orientés vers l’agriculture des pays du sud parce que celle-ci a été déjà été beaucoup travaillée, notamment par le Cirad et l’INRA.

Avez-vous noté des différences de conception d’un pays à l’autre concernant l’agriculture urbaine?

Rizière sous éclairage artificiel. Société japonaise Pasona. © Élise Fargetton

Il y a plusieurs choses marquantes, le Japon par exemple a une relation au végétal très particulière, avec une conception de l’alimentation qui n’est pas la même que nous. Étant très dépendants des importations extérieures, ils essayent de développer des fermes très technologiques, celles-ci sont aujourd’hui au nombre de 200 dans tout le Japon. Ils ont un rapport à l’hygiène qui leur est propre, avec une prédilection pour un produit sain, sachant qu’un produit sain n’est pas forcément un produit qui pousse dans la terre. Ils ont une manière de produire qui est également maitrisée, ils maitrisent tout du début jusqu’à la fin.
Aux États-Unis, la relation aux agriculteurs n’est pas la même, elle n’est pas forcément simple. Dans des villes comme par exemple Chicago ou New York les agriculteurs sont très éloignés de la ville, les produits parcourent de grandes distances, plus que chez nous en Europe. On note également une volonté d’aller vers des produits sains, le bio y est très développé.
Au Canada, dans une ville comme Montréal il y a un rapport avec la nature qui a été développé depuis longtemps. Il y a donc eu une appropriation des espaces par les habitants qui s’est faite très tôt et qui a permis un essor conséquent de l’agriculture urbaine.
A Paris on s’engage dans cette voie avec le permis de végétaliser, le projet Parisculteurs, etc.

Peut-on dire que l’on assiste à un renouveau de l’agriculture urbaine dans les pays occidentaux ?

La nouveauté dans ce mouvement est l’aspect économique. C’est un mouvement qui, à la base, est citoyen, social avec le mouvement du guerrilla gardening, des jardins partagés. La raison pour laquelle on entend plus parler de l’agriculture urbaine ces cinq dernières années s’explique par le fait qu’elle se professionnalise, avec des gens qui, de plus en plus, souhaitent en faire leur vie, leur métier. Ce qui va lier ces nouveaux acteurs de l’agriculture urbaine professionnelle, c’est cette volonté d’en dégager un salaire. Mais c’est également un mouvement qui véhicule de nombreuses réflexions, certains sont très portés sur l’environnement, l’écologie. Le moteur peut-être également l’aspect social, l’insertion ou la pédagogie, d’autres se focalisent plus sur l’aspect productif.

Y-a-t-il des enjeux différents selon que l’on soit un jardinier amateur avec sa parcelle de terrain, faisant partie d’un jardin collectif ou que l’on soit un agriculteur urbain professionnel ?

Jardins collectifs new-yorkais. © Élise Fargetton

Il y a surtout des points en commun : une volonté de se réapproprier le végétal et de le comprendre, il y a également cette notion de végétal utile à la ville mais également à celui qui la cultive. Ça c’est le point commun entre celui qui jardine sur son balcon ou son petit potager urbain et l’agriculteur urbain plus professionnel dont le but est de faire un végétal productif et utile. Après les différences sont très nombreuses : le temps, l’énergie injectée, les compétences techniques, etc.

Dans quelle mesure les agriculteurs urbains peuvent-ils contribuer à la consommation des habitants d’une ville ? Pourrait-on imaginer une ville qui soit autonome ?

La vision française de l’agriculture urbaine n’a pas pour but d’atteindre l’autonomie alimentaire. Il y a plutôt une volonté de mise en lien, de complémentarité avec les produits agricoles du territoire. Nous ne sommes pas dans une approche de concurrence avec le monde agricole en France à la différence des États-Unis où il y a cette tendance à tendre vers une autonomie alimentaire qui est, d’après moi, impossible à obtenir actuellement sauf à revenir au XIXème siècle avec les cultures maraichères localisées autours des villes, les fameuses « ceintures horticoles ». Mais cette question de l’autonomie recouvre également des enjeux futurs : on pourrait imaginer des enceintes productives autour des villes capables de produire des fruits et des légumes.

Dans l’avenir, cela pourrait être possible ?

Il y a des études prospectives qui l’ont envisagé, mais cela nécessiterait un gros changement de structuration du territoire, de la relation ville-campagne. Il faudrait transformer les espaces verts, planter un maximum de toitures, retrouver une ceinture productive autour des villes. La commune de Rennes a fait des expérimentations, des simulations et on arrive à des ceintures de production pure d’une surface de 30 à 40 km autour de la ville pour arriver à nourrir la métropole de Rennes, et ce ne serait qu’avec des fruits et légumes. Dès lors qu’il s’agit des céréales ou du bétail, les surfaces deviennent bien trop importantes pour parler d’agriculture urbaine. Pour arriver à l’autonomie, il faudrait donc un changement radical et fondamental.

Prototype de ferme verticale. © Élise Fargetton

Si, dans le futur on optait pour une agriculture plus high-tech comme les fermes verticales indoor par exemple, on pourrait arriver à produire des volumes très importants.
Par contre le problème est l’énergie nécessaire à la production. Ce genre de culture est très énergivore : le refroidissement, la gestion climatique, la lumière. Pour l’instant il y a une rupture technologique qui n’a pas été franchie, qui le sera peut-être un jour. Et il y a une question sous-jacente à tout cela : est-ce que les consommateurs sont prêts en France à se nourrir avec des végétaux qui n’ont jamais vue la lumière solaire ou la terre ? Il y a aussi cette notion de perception des produits qu’il  faut prendre en compte.

Qu’en est-il de la qualité des produits issus de cette agriculture ?

Il y a des conditions propres à l’agriculture urbaine : la pollution urbaine de l’air et du sol notamment. Pour faire face à cela, il existe des stratégies, des méthodes pour éviter que ces facteurs viennent impacter la qualité des produits. Cette qualité découle également des techniques de culture, quand celles-ci sont en pleine terre, il y a souvent peu de souci au niveau de la qualité nutritive et gustative des produits en tant que tels.
Souvent les agriculteurs urbains – même s’ils n’ont pas le label bio parce qu’une majorité d’entre eux ne font pas la démarche ou ne cultivent pas en pleine terre – ont des méthodes de culture qui sont similaires au bio, voire même meilleures pour certains. Ceux dont les méthodes s’orientent vers la permaculture sont très portés sur l’aspect  environnemental, ils ne privilégient pas forcément la production, le rendement mais plutôt la qualité des produits.
Par contre la question du hors-sol interroge encore, il y a très peu d’études sur ce sujet. On n’a notamment pas encore de réponse quant à la qualité nutritive des produits issus du high-tech, pour la qualité gustative par contre les études montrent que c’est quasiment similaire.

Quel a été, au final, l’intention de votre ouvrage ?

L’intention de ce livre est bien sûr de fournir des informations sur l’agriculture urbaine et les gens qui la pratiquent mais aussi et surtout de donner envie à ceux qui ont la main verte d’en faire leur métier. Quand on discute avec les gens de l’agriculture rurale, on s’aperçoit qu’il y a des vrais besoins de main d’œuvre. L’agriculture urbaine pourrait être une passerelle qui permettrait à des gens qui jardinent, qui cultivent le week-end ou le soir chez eux, qui ont envie de s’orienter vers un nouveau mode de vie, de changer et d’aller retrouver la terre, cette pratique pourrait donner envie aux gens de faire ce métier.

Un petit marché dans une micro ferme urbaine
© Élise Fargetton

En quelque sorte, ce livre tente de démystifier la pratique agricole, jardinière, auprès des citadins, pour leur donner envie de mettre la main à la terre.
Lorsque l’on jardine – je suis moi-même un jardinier urbain amateur à Marseille – on a envie de produire de quoi manger, des végétaux utiles qu’on va utiliser pour faire ses tisanes ou autres, c’est une tout autre relation qu’avec, par exemple, les plantes ornementales. On a envie que ce soit productif, de faire partager son savoir-faire avec d’autres, d’aller plus loin, de cultiver d’autres gammes de végétaux, d’améliorer son système de production. Cet aspect peut, parmi les milliers de jardinier amateur, en amener certains, ne serait-ce qu’une petite partie d’entre eux, à franchir le pas et se lancer dans l’aventure agricole.

 

Merci à Claude Morel-Chevillet pour l’entretien qu’il nous a accordé ainsi qu’à Élise Fargetton pour les très belles photographies.

 

 

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