Hortalia vous offre trois poèmes de trois grands auteurs du XIXe siècle pour fêter l’arrivée du printemps.
Premier sourire du printemps
Gautier, Théophile (1811-1872), Émaux et camées…, Paris : G. Crès et Cie
Tandis qu’à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement, lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d’or.
Dans le verger et dans la vigne,
Il s’en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l’amandier.
La nature au lit se repose ;
Lui, descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges,
Qu’aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l’oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d’argent du muguet.
Sous l’herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d’avril tournant la tête,
Il dit : « Printemps, tu peux venir!»
Nuit de printemps
Chateaubriand, François-René de (1768-1848). Œuvres complètes de Chateaubriand. Tome 3. Paris : Garnier frères, 1861
Le ciel est pur, la lune est sans nuage :
Déjà la nuit au calice des fleurs
Verse la perle et l’ambre de ses pleurs;
Aucun zéphyr n’agite le feuillage.
Sous un berceau, tranquillement assis,
Où le lilas flotte et pend sur ma tête,
Je sens couler mes pensers rafraîchis
Dans les parfums que la nature apprête.
Des bois dont l’ombre, en ces prés blanchissants,
Avec lenteur se dessine et repose,
Deux rossignols, jaloux de leurs accents,
Vont tour à tour réveiller le printemps
Qui sommeilloit sous ces touffes de rose.
Mélodieux, solitaire Ségrais,
Jusqu’à mon cœur vous portez votre paix!
Des prés aussi traversant le silence,
J’entends au loin, vers ce riant séjour,
La voix du chien qui gronde et veille autour
De l’humble toit qu’habite l’innocence.
Mais quoi ! Déjà, belle nuit, je te perds !
Parmi les cieux à l’aurore entr’ouverts,
Phébé n’a plus que des clartés mourantes,
Et le zéphyr, en rasant le verger,
De l’orient, avec un bruit léger,
Se vient poser sur ces tiges tremblantes.
J’atteignais l’âge austère où l’on est fort en thème,
Où l’on cherche, enivré d’on ne sait quel parfum,
Afin de pouvoir dire éperdûment Je t’aime!
Quelqu’un.
J’entrais dans ma treizième année. O feuilles vertes
Jardins ! croissance obscure et douce du printemps!
Et j’aimais Hermina, dans l’ombre. Elle avait, certes,
Huit ans.
Parfois, bien qu’elle fût à jouer occupée,
J’allais, muet, m’asseoir près d’elle, avec ferveur,
Et je la regardais regarder sa poupée,
Rêveur.
Il est une heure étrange où l’on sent l’âme naître ;
Un jour, j’eus comme un chant d’aurore au fond du cœur.
Soit ! pensai-je, avançons, parlons ! C’est l’instant d’être
Vainqueur!
Je pris un air profond, et je lui dis : — Minette,
Unissons nos destins. Je demande ta main. —
Elle me répondit par cette pichenette:
— Gamin!